lundi 20 août 2012

De l'hystérie à la panique - Partie1 de l'interview de Jim Rogers dans " Market Wizards "

L’interview date d’avril 1988.

Vous venez de réaliser une superbe performance avec votre pari sur le DAX (NDLR : l’index allemand). Pourquoi étiez-vous si bullish sur l’Allemagne à l’époque où vous avez initié la position ?

Le bull market avait commencé en 1982. Plus important, l’Allemagne n’avait pas connu de bull market depuis 1961. Le marché n’avait fait qu’évoluer à l’horizontale depuis cette date, alors que l’économie allemande, elle, avait explosé. Il y avait donc de la valeur en Allemagne, c’était certain. Quand il y a de la valeur et que le prix est bas, je me penche sur le dossier.

Mais selon cette théorie vous auriez aussi bien pu acheter l’index dix ans plus tôt ?

Absolument. Mais si j’ai acheté en 1982, et non en 1971, c’est parce que cette fois il y avait un catalyseur. Vous avez toujours besoin d’un catalyseur avant qu’un grand tournant ne s’amorce. Ici, c’étaient les élections. J’étais certain que les socialistes allaient être éjectés une bonne fois pour toutes ; et que les chrétiens démocrates, dont le programme clairement libéral était essentiellement orienté vers le business, allaient gagner.

Vous aviez donc un très haut degré de conviction?

Comme à chaque fois que j’investis. Sinon, je préfère ne rien faire. La plupart des gens, pour une raison que j’ignore, ne peuvent pas rester sans rien faire. Il faut toujours qu’ils jouent !

Attendez-vous toujours que la situation se joue selon votre plan ? Ne vous arrive-t-il jamais de penser « Ok, ce marché va surement monter, je vais tenter le coup pour voir » ?

Ce à quoi vous faites allusion est le plus sûr chemin vers la ruine. Non, mon métier est très différent. J’attends vraiment d’avoir seulement à tendre le bras pour ramasser. Cela n’arrive pas souvent, croyez-le bien. Mais quand cela arrive, je ne rate pas ma chance. Regardez les gens qui perdent, ils disent toujours « maintenant que j’ai perdu, je dois trouver un moyen de me refaire ». Non, ils ne devraient pas trouver un moyen de se refaire... Ils devraient attendre que l’immanquable se présente. Mais c’est beaucoup plus difficile qu’il n’y parait!

Trader aussi rarement que possible, en quelque sorte ?

Je ne suis pas un trader. Je ne sais même pas ce que veut dire ce mot. Mon métier est de pêcher dans un tonneau. Vous comprenez ça ?

Plus ou moins. Tous vos investissements sont-ils basés sur l’analyse fondamentale ?

Oui. Parfois, les charts du Bureau de Recherche des Matières Premières m’indiquent un catalyseur. Les charts peuvent révéler la panique ou l’hystérie. Mais ce n’est qu’une première étape. Si je vois l’un ou l'autre sur un chart, alors je m’intéresse aux fondamentaux du dossier.

Avez-vous un exemple?

Il y a deux ans, j’ai commencé à vendre à découvert le grain de soja après que le cours soit monté d’un coup à $9.60. L’idée m’était venue après un diner accompagné de traders, durant lequel ils n’avaient cessé de fanfaronner sur les raisons qui les avaient poussé à acheter du grain de soja – essentiellement, parce que le cours montait depuis plusieurs mois. Rentré chez moi, je ne pouvais l’expliquer, mais je savais que je devais shorter le grain de soja. Shorter l’hystérie.

Comment faites-vous pour reconnaitre l’hystérie ?

Apres une hausse sensationnelle, vous voyez le cours se déplacer par petits bonds horizontaux.

Comme le marché de l’or en 1979-1980 ?

Oui, c’est d’ailleurs à ce moment précis que j’ai commencé à vendre l’or à découvert, aux alentours de $675 l’once.

C’était $200 trop tôt !

Comme je vous l’ai dit, je ne suis pas un trader. Je suis toujours soit en avance, soit en retard, mais ça ne fait rien, car je suis prêt à attendre le temps qu’il faudra.

Ce devait tout de même être effrayant. Vous n’avez jamais douté ?

Si, bien sûr.

Mais vous êtes malgré tout resté ferme sur votre position ?

J’étais convaincu d’avoir raison. L’hystérie était trop évidente, et l’hystérie ne peut jamais durer. Si vous avez le courage de tenir bon, parier contre l’hystérie est une spéculation sûre.

Ceci signifie-t-il que vous allez systématiquement à l’inverse de ces situations d’hystérie ?

Non, pas forcément. Les situations d’hystérie attirent mon attention, mais cela ne signifie pas que j’agis pour autant. Début 1980, je savais que le prix de l’or était surévalué. Paul Volker avait été nommé président de la réserve fédérale et avait fixé comme objectif la lutte contre l’inflation. Je ne doutais pas de sa sincérité. En octobre 79, lorsque la FED a changé sa politique de contrôle des taux d’intérêt pour se concentrer la croissance de la masse monétaire, le marché n’y croyait pas, et l’or continuait de monter. Face à une telle situation, les marchés étaient trop hystériques pour vraiment réaliser ce qu’il se passait alors. C’était mon catalyseur.

Les marchés seraient-ils aveugles ?

Absolument. Lorsqu’une tendance forte est lancée, qu’elle soit à la hausse ou à la baisse, les participants ne prêtent plus attention aux évènements – ils sont trop omnibulés par ce qui se passe alors.

Donc, ce n’est pas parce que le marché ignore un évènement que cet évènement n’est pas important ?

Exactement ! C’est mieux ainsi d’ailleurs. Plus le marché est irrationnel, plus l’opportunité qui se profile pour des gens comme moi s'annonce monumentale.

Avez-vous un autre exemple ?

Octobre 1987. C’est une drôle de coïncidence, mais le 19 octobre [jour du krach historique, NDLR] est le jour de mon anniversaire. A la fin 1986, j’avais justement prédit que nous allions vers l’une des pires paniques financières de toute l’histoire. Je savais que ça allait arriver, mais je ne savais pas quand ça allait arriver. Ce fut vraiment un merveilleux cadeau d’anniversaire !

Comment saviez-vous qu’il y aurait une telle panique financière ?

Il suffisait d’ouvrir les yeux. L’argent coulait à flot. Toutes les bourses du monde étaient à des plus haut historiques. Vous étiez abreuvés toute la journée de ces histoires de golden boys à peine sortis de l’école qui gagnaient des millions en quelques heures. C’était tout simplement irréel. Ça ne pouvait pas durer !

Vous vendiez à découvert, ou vous achetiez des « puts » ?

Je vendais à découvert. Je ne pratiquais plus les options. Les options sont un aller simple vers la ruine. La SEC a publié plusieurs études qui confirment toutes la même chose, l’une après l’autre : 90% des actions expirent à perte ! Pourquoi parier, quand on a 9 chances sur 10 de perdre ?

Quand avez-vous couvert vos positions ?

La semaine du 19 octobre. C’était la panique. Si vous vous rappelez bien, tout le monde pensait alors que ça en était fini des banques, des bourses et de la finance.

Avez-vous couvert en voyant l’hystérie s’inverser, de l’euphorie a la panique ?

Oui. C’était clair comme de l’eau de roche. De toute façon, si c’était vraiment la fin du monde, je n’aurais jamais récupéré mon argent. J’aurai eu à prendre mon fusil pour trouver de quoi manger. Donc, j’ai pris tout ce que j’avais et je suis allé contre la foule. J’ai racheté tout ce que j’ai pu, en pleine panique.

Vous n’aviez plus aucun short ?

Non. Vu le catastrophisme de l’époque, sauf si le monde touchait vraiment à sa fin, alors tout ne pouvait que remonter en flèche.

De nombreuses personnes blâment le krach de 1987 sur le dos des ordinateurs, du trading haute fréquence . Qu’en pensez-vous ?

Les gens qui soutiennent de telles théories sont incultes et ne comprennent rien. Mais vous savez, les gens qui perdent de l’argent ont toujours besoin d’une excuse pour se justifier. En 1929, on blâmait les appels de marge, les vendeurs a découvert, le gouvernement et même les Juifs. Au lieu de blâmer la terre entière, ces gens devraient apprendre leur métier. Je me rappelle que la semaine avant le krach d’octobre, Alan Greenspan avait annoncé publiquement que le déficit commercial se réduisait, que les choses étaient sous contrôle. Deux jours plus tard, les chiffres ont été rendus publics, et ils étaient les pires de l’histoire ! Si ceux qui ont tout perdu le 19 octobre avaient ouvert les yeux et les oreilles, ils auraient eux aussi pu prendre la juste mesure de la catastrophe qui les guettait.

Avez-vous déjà défié l’hystérie, et perdu ?

Bien sûr ! C’est arrivé à deux reprises. La première, quand je me suis essayé aux options. La deuxième, quand j’investissais sur des compagnies que je ne comprenais pas.

Qu’avez-vous appris ?

Que le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable.

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